Clauses d'exclusivité
L'Ordonnance n°2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce n'a pas abrogé l'article 23-2 du décret du 30 septembre 1953 relatif à la destination des lieux et constituant un des éléments d'appréciation de la valeur locative.
Nous le reproduisons ci-après, avec le commentaire complet, repris du statut des baux commerciaux industriels et artisanaux édité par la Gazette du Palais et remis à jour en juin 2000.
Art. 23-2 - La destination des lieux est celle effectivement autorisée par le bail et ses avenants ou, dans les cas prévus au titre VII, par le Tribunal (décret du 3 juillet 1972).
DESTINATION DES LIEUX - INTENTION DES PARTIES
Le texte réglementaire se réfère à cet égard aux dispositions contractuelles insérées dans les conventions locatives et les avenants subséquents, de même qu'aux dispositions du titre VII du décret, afférentes à la déspécialisation.
La destination des lieux est habituellement définie d'une façon assez stricte et limitative par les baux commerciaux : certains autorisent l'exploitation de "tous commerces", mais la quasi-totalité d'entre eux précise le ou les commerces autorisés, et ce à l'exclusion de toute autre activité... L'énumération vise un certain nombre d'activités commerciales, mais il est également possible que le bail fasse référence aux modalités d'exploitation ou d'occupation des lieux : tel peut être le cas d'un bail à usage exclusif de bureaux (cf. sur ce point : article 23-9), à usage d'atelier ou d'entrepôt (Cass. civ. 13 juillet 1994, Rev. loy. 1994.543). L'énumération des activités autorisées peut en outre présenter un caractère expressément limitatif ou non (cf. sur l'emploi du terme "et coetera" : Cass. civ. 26 janvier 1994, Rev. loy. 1994.240).
Il s'agit d'un critère essentiel de la détermination de la valeur locative (cf. La destination, le chiffre d'affaires et la valeur locative, J. D. Barbier, A.J.P.I. 1996, p. 682), un large éventail d'activités autorisées, de même a fortiori que la faculté pour le preneur d'exercer dans les lieux loués "tous commerces". est de nature à conférer au bail une plus-value au bénéfice du preneur.
Pour les baux commerciaux à caractère mixte, en raison de l'affectation d'une partie des lieux loués à usage d'habitation, il faut naturellement distinguer la destination des lieux loués qui concerne la partie à usage commercial, de celle des autres locaux, tout changement d'affectation des locaux à usage d'habitation supposant que le preneur ait recueilli les autorisations requises à cet effet (Cass. civ. 20 juin 1995, Rev. loy. 1995.513). Les lieux loués relevant des dispositions de l'article 23-2 doivent en principe être destinés contractuellement à un usage commercial, industriel ou artisanal, et ce conformément aux critères posés par l'article 1er du décret : on rappellera toutefois que certains baux bénéficient par extension des dispositions statutaires, et ce dans des conditions exclusives d'une activité commerciale (art. 2), tandis que par ailleurs les parties peuvent, sous certaines réserves, convenir qu'un bail n'entrant pas normalement dans le champ d'application du statut des baux commerciaux, lui soit contractuellement assujetti (Cass. civ. 5 octobre 1994; Rev. loy. 1995.95, et annotations art. 1er du décret).
DESTINATION - AFFECTATION - ACTIVITÉ EXERCÉE
La destination contractuelle des lieux loués doit être distinguée : - de la destination de l'immeuble selon les critères définis à cet égard par l'article 34-1 du décret, - de l'affectation des locaux à usage commercial, telle qu'elle résulte des dispositions de l'article L 631-7 du Code de la construction et de l'habitation, avec les conséquences qui peuvent en découler à l'égard du bail lui-même selon les critères prévus par ce texte et la jurisprudence qui en découle (Cass. civ. 20 décembre 1995, Gaz.Pal. 1997.1. 212, note J.D. Barbier ; C Paris 24 juin 1997, Gaz. Pal. 1997.2, somm. 478, note Ph.H. Brault), - de même que la notion de commerce considéré, telle que celle-ci découle des dispositions de l'article 23-4 du décret, qui s'entend de l'activité effectivement exercée dans les lieux loués par le preneur (cf. annotations art. 23-4, Cass. civ. 8 janvier 1997, Loyers et copr. 1997, comm. 51, note Ph.H. Brault ; Cass. civ. 16 juillet 1998, Loyers et copr. 1998, comm. 270; C. Paris, 13 janv. 1999, C. Paris, 3 fév. 1999, J.C.P. 2000, éd. E, p. 224 note J. Monéger).
CRITERES D'APPRÉCIATION
Pour déterminer la destination des lieux, à défaut de stipulations claires dans le bail, les juges doivent rechercher la commune intention des parties (Cass. civ. 29 avril 1980, Gaz. Pal. 182, somm. p. 423 ; Cass. civ. 22 octobre 1980, Gaz. Pal. 1981.1, somm. p. 34), et les juges du fond apprécient souverainement l'étendue des activités autorisées par le contrat (Cass. civ. 23 novembre 1993, Rev. loy. 1994.194).
Les termes du bail ne doivent pas être entendus exclusivement en leur sens étymologique, mais dans celui couramment utilisé dans la tranche d'activité considérée, au regard de l'évolution des usages commerciaux.
ACTIVITÉS INCLUSES
Certaines activités sont considérées par la jurisprudence comme incluses implicitement dans la destination contractuelle, sans que l'on puisse toutefois se prononcer avec certitude en raison même de la variété des clauses soumises à l'appréciation des tribunaux : sur la notion de bazar (C Versailles 8 juin 1989, Rev. loy. 1989.469 ; C Lyon 6e ch. 24 mai 1995, Juris-data 044371), sur l'activité de boulangerie-pâtisserie (C Versailles 12e ch. 12 janvier 1995, Juris-data 000274, Rev. Administrer 1995 n° 358, p. 19, note Frank ; C. Rennes 1ere ch. A 24 juin 1997, Juris-data n° 048860) et la vente de boissons (Cass. civ. 21 novembre 1995, Rev. Administrer avril 1996, p. 38, note J.D. Barbier), et la distinction entre le simple dépôt de pain, l'activité limitée à la décongélation des produits déjà prêts à la vente, et la fabrication elle-même (Cass. civ. 13 mai 1986, Rev. loy. 1986.322 ; C Aix-en-Provence 4e ch. 27 octobre 1994, Juris-data 048902), sur l'éventail d'activités découlant d'un commerce de café (C Paris 5 janvier 1993, Loyers et copr. 1993 n° 184 ; C Paris 5 septembre 1995, Administrer n° 274, p. 56; C. Aix-en-Prov., 13 novembre 1997: A.J.D.I. 1998, p. 17) ou de café-restaurant (C. Aix-en-Prov., 24 juin 1997: Juris-data n°045408), sur l'assimilation de la vente de produits frais et celle des produits surgelés (C Versailles 28 septembre 1988, Rev. loy. 1989.181, Loyers et copr. 1989 n° 223 ; contra Trib. gr. inst. Paris 25 novembre 1988, Gaz. Pal. 1990.2, somm. p. 420), sur l'activité d'hôtel et la possibilité pour la clientèle d'y prendre des repas (Cass. civ. 20 mars 1991, Rev. loy. 1991.276), sur la vente de petite bijouterie fantaisie considérée comme annexe aux activités d'esthétique et de soins de beauté (C. Paris 16e ch. A 31 mars 1998, Juris-data 020967), sur le commerce de marchand de vins, traiteur (C. Paris, 16eme Ch. A, 17 octobre 1995: Juris-data n°023371), sur le commerce de débit de tabac et la vente de voiture miniatures et de stylos (C. Paris, 22 avril 1997: D. Aff. 1997, 1212), sur le commerce de pharmacie et l'activité de parapharmacie (C. Paris, 13 nov. 1996: Rev. Administrer janv. 1997, p. 29), sur l'activité de plomberie, couverture et le chauffage (C. Paris, 2 juillet 1996: Rev. Administrer fév. 1997, p. 27).
EXTENSIONS PROHIBÉES
De très nombreuses décisions estiment que certaines branches d'activité exercées par le preneur n'entrent pas dans la destination contractuelle, et constituent donc des extensions prohibées dans la mesure où elles ne peuvent trouver justification ni dans l'évolution des usages commerciaux ni dans les exigences actuelles de la clientèle (C. Paris, 16eme Ch. B, 10 janvier 1997: Juris-data n°020249): il a été souverainement retenu par les juges du fond que l'exercice du commerce de loto n'est pas intrinsèquement lié à l'activité de presse-papeterie (Cass. civ. 6 mai 1996, Juris-data 001926), il en est de même d'une activité de traiteur pour un commerce de boucherie (C Paris 8 novembre 1989, Juris-data 026783, C. Paris, 16eme Ch. A, 27 septembre 1994: Juris-data n°022809), l'activité autorisée de "plomberie, couverture". ne peut être assimilée à la vente de "sanitaires, chauffage, électricité". (C Paris 16e ch. B 22 juin 1995, Juris-data 021730), une activité de débit de boissons et de restaurant ne permet pas celle de cabaret-spectacles (C Montpellier 1ère ch. 5 juillet 1995, Juris-data 034187), l'activité de débit de boissons et de tabac celle de brasserie (Cass. civ., 26 novembre 1997: Juris-data n°004807), l'activité de boulangerie-pâtisserie ne permet pas la vente de boissons (Cass. civ. 21 novembre 1995, Administrer n° 277, p. 38, note J.D. Barbier), le commerce de prêt-à-porter n'autorise pas la vente de chaussures et de montres fantaisie (C Pau 2e ch. 18 décembre 1997, Juris-data 056092), la vente de pain n'est pas incluse dans un commerce de pâtisserie-épicerie orientale prévu au bail (C Paris 16e ch. B 5 juin 1998, Juris-data 021443).
SANCTIONS
Un changement de destination en contravention avec les stipulations du bail peut entraîner :
- la résiliation du bail (Cass. civ. 16 février 1983, Gaz. Pal. 1983.2, pan. p. 194 ; Cass. civ. 19 mars 1986, Rev. loy. 1986.209, J.Cl. Bail à Loyer, fasc. 1282, n° 36 ss.),
- l'application de la clause résolutoire après mise en demeure demeurée infructueuse (Cass. 3e civ., 18 mars 1998, J.C.P. 1998, éd. E, 779, D. Aff. 1998, 942, cf également J.C.l Bail à loyer, fasc. 1284, et annotations art. 25 du décret),
- le refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes (C Paris 29 janvier 1987, J.C.P. 1987.20814, D.1987.I.R.33 ; Cass. civ. 24 octobre 1990, Gaz. Pal. 1991.1, somm. p. 155 ; cf. également sur ce point annotations art. 9 du décret),
- le déplafonnement du loyer en renouvellement (C. Paris, 16eme Ch. A, 4 mars 1998: Juris-data n°020360), à la condition que la modification alléguée par le bailleur présente le caractère notable requis par l'article 23-6 (Cass. civ. 8 janvier 1997, Gaz. Pal. 1997.1.211, note J.D. Barbier; cf sur ce point Annotations art.23-6).
MODIFICATION DE LA DESTINATION
La destination contractuelle peut être modifiée en cours de bail, soit dans le cadre de la procédure de déspécialisation découlant des articles 34 et suivants du décret (cf. annotations art. 34 et 34-1), soit à l'occasion de la cession consentie par un locataire commerçant faisant valoir ses droits à la retraite dans les conditions prévues par l'article 34-3-1 du décret (cf. annotations art. 34-3-1).
En outre, la modification peut découler d'un accord contractuel : une simple attitude passive du bailleur n'implique pas son consentement à un changement de destination (Cass. civ., 26 novembre 1997: Juris-data n°004820; C Paris 25 juin 1984, Bull. loyers 1984, n° 310 ; C Paris 28 avril 1988, D.1988.I.R.154). Il peut néanmoins être ratifié (Cass. civ. 10 octobre 1979, Gaz. Pal. 1981.1, somm. p. 11), mais de façon non équivoque (Cass. civ. 16 mars 1982, Rev. loy. 1982.315 ; Cass. civ. 3e ch. 24 juin 1998, Commune de Couiza c/ Fédération des Centres d'information et de vulgarisation pour l'agriculture et le milieu rural (CIVAM) de l'Aude, arrêt n° 1008 D ; C Paris 6 janvier 1988, D.1988.I.R.34). Il faut distinguer la modification de la destination et le développement du commerce dans le respect des activités autorisées (Cass. civ. 12 octobre 1988, Gaz. Pal. 1988.2, pan. p. 259).
Le bail impose-t-il au preneur l'exploitation des commerces énumérés au titre de la destination des lieux, ou lui laisse-t-il le choix selon la branche d'activité qui lui permet la mieux adaptée aux locaux ? La réponse peut être tributaire de la rédaction du bail, de même que des caractéristiques des lieux loués au regard de l'éventail des activités autorisées... (cf. B. Boccara, J.Cl. Bail à Loyer, fasc. 1475, n° 18 ss.).
PLURALITÉ DE COMMERCES AUTORISÉS ET CHOIX DU PRENEUR
Il a été jugé qu'en présence d'une clause selon laquelle les lieux devaient servir exclusivement à l'exploitation du commerce de bar, hôtel, restaurant, l'abandon de la seule branche hôtel ne permettait pas de caractériser un manquement des preneurs à la destination et à l'obligation d'exploiter (Cass. 3e civ. 3 mars 1993, Rev. loy. 1993.241; C. Orléans, 11 décembre 1997: Juris-data n°047327), et que l'abandon de l'activité de débit de tabac, activité accessoire d'un fonds de commerce de débit de boissons et de restaurant, ne pouvait être contraire à la destination convenue du bail (C. Nîmes 2e ch. 28 avril 1998, Juris-data 030543). Mais, en sens contraire, il a été fait grief à un locataire de ne pas avoir maintenu la destination mixte d'hôtel, café, restaurant, et ce bien que l'activité hôtelière ait cessé depuis onze ans (Cass. civ. 4 février 1997, Administrer n° 291, p. 35, obs. Boccara).
CLAUSE D'EXCLUSIVITÉ
L'article 1719 du Code civil impose au bailleur de garantir la jouissance paisible des lieux loués, mais non d'assurer au preneur pour l'exercice de son commerce, dans le silence du bail, le bénéfice d'une exclusivité dans l'immeuble (Cass. civ. 16 octobre 1985, Rev. loy. 1986.21 ; CA Aix-en-Provence 8eme ch. 9 février 1988, Juris-data 044266), une clause d'exclusivité peut néanmoins être stipulée au bénéfice du preneur, et doit s'interpréter restrictivement (Cass. civ. 8 janvier 1997, arrêt n°29 P, pourvoi n°P.94-20.766; C Aix-en-Provence 4e ch. 14 février 1995, Juris-data 044199). Sur l'opposabilité de cette clause à l'acquéreur de l'immeuble (C. Rennes 3 septembre 1997, Juris-data 055289).