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LE SORT DU LOYER COMMERCIAL FACE À LA PANDÉMIE
1 SEPTEMBRE 2020
Jehan denis Barbier
Le sort du loyer commercial face à la pandémie
LE SORT DU LOYER COMMERCIAL FACE À LA PANDÉMIE

 
 
L’essentiel. Le confinement et la fermeture des boutiques placent les bailleurs et les locataires commerçants dans une situation de force majeure, empêchant l’exécution du contrat de bail. Le contrat de bail doit être suspendu, les loyers n’étant pas dus. Le réexamen de la valeur locative peut être envisagé.
 
 
Etude par Jehan-Denis BARBIER
Avocat au Barreau de PARIS
Docteur en droit
BARBIER ASSOCIÉS
 
 
L'arrêté ministériel du 14 mars 2020 interdit la réception des clients dans les magasins de vente et dans les centres commerciaux jusqu'au 15 avril, sauf quelques exceptions. Le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 interdit à la clientèle potentielle de sortir de chez elle jusqu'au 31 mars, sauf là encore quelques exceptions. Ces dispositions ont été réitérées par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020.
 
Ces mesures seront probablement prorogées.
 
Ces mesures administratives empêchent donc toute activité commerciale à double titre : d’une part, la chose louée, la boutique, ne peut plus être utilisée, pour une période indéterminée ; d’autre part, la clientèle, élément essentiel du fonds de commerce, sans laquelle il ne peut exister, est confinée et disparait donc pour une période indéterminée.
 
La situation est catastrophique pour les commerçants, dont l’activité a déjà été fortement ébranlée par les grèves et les manifestations de gilets jaunes.
 
Les mesures réglementaires imposées par la pandémie interdisent ainsi pratiquement toute activité commerciale, et les commerçants ne pourront évidemment pas faire face au paiement des loyers, d’autant que ceux-ci ont fortement augmenté aux cours des derniers mois par l’effet des clauses d’indexation et d’un indice curieusement déconnecté de la réalité.
 
Certains bailleurs ont pris la mesure de la situation, en suspendant les prélèvements de loyer. Effectivement, en droit, aucun loyer ne peut être dû pendant les périodes de fermeture réglementaire des boutiques et des centres commerciaux (I), mais les locataires peuvent également envisager de demander la révision de leur loyer (II).
 

 
I – LA SUPPRESSION DU LOYER
 
La Cour de cassation a posé dans un attendu de principe que : « Le bailleur doit assurer au preneur la jouissance paisible des lieux loués et cette obligation ne cesse qu’en cas de force majeure »[1].
 
Aux termes de l’article 1719 du Code civil, les obligations essentielles du bailleur sont la délivrance de la chose louée et la garantie de jouissance paisible. S’agissant d’obligations essentielles, toute clause contraire serait réputée non écrite[2].
 
Or, en raison des dispositions réglementaires ci-dessus rappelées, le bailleur ne peut pas, actuellement, satisfaire à son obligation de délivrance puisque précisément les boutiques et les centres commerciaux doivent être fermés.
 
Le bailleur n’est toutefois pas responsable de cette situation inédite, imprévisible, irrésistible, qui présente toutes les caractéristiques de la force majeure. Le bailleur peut donc se prévaloir des dispositions des articles 1148 ancien et 1231-1 nouveau du Code civil, selon lesquels le débiteur de l’obligation ne doit pas de dommages et intérêts lorsqu’il a été empêché de l’exécuter par la force majeure.
 
Les nouvelles dispositions du Code civil, résultant de l’ordonnance du 10 février 2016, ne s’appliquent qu’aux baux conclus à compter du 1er octobre 2016, mais, sur le sujet de la force majeure, les nouveaux textes n’ont fait que reprendre la jurisprudence et les anciens textes. Il n’y a pas de différence de traitement entre les anciens et les nouveaux baux.
 
La Cour de cassation a jugé que « en cas d'impossibilité momentanée d'exécution d'une obligation, le débiteur n'est pas libéré, cette exécution étant seulement suspendue jusqu'au moment où l'impossibilité vient à cesser »[3], et que « la force majeure n’exonère le débiteur de ses obligations que pendant le temps où elle l’empêche de donner ou de faire ce à quoi il s’est obligé »[4].
 
Cette jurisprudence a été entérinée par le législateur dans le Code civil de 2016, à l'article
1218 :
 
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue (…) ».
 
Ainsi, le bailleur est dispensé de son obligation de délivrance pendant la durée prévue par les mesures réglementaires. Pendant cette même durée, le preneur est, quant à lui, dispensé de la contrepartie, c’est-à-dire du paiement du loyer et des charges.

 
 
A vrai dire, les mesures réglementaires empêchent non seulement l’exécution de l’obligation de délivrance du bailleur, mais également l’exécution par le preneur de son obligation d’exploiter, et plus fondamentalement l’exécution du contrat lui-même, dont l’objet est l’exploitation d’un fonds de commerce, puisque cette exploitation est précisément interdite.
 
La force majeure frappe en l’occurrence la substance même du contrat. Le bail est atteint dans ses éléments essentiels. Alors que le bail est un contrat de jouissance, la jouissance est impossible. Le bail ne peut pas se maintenir dans de telles conditions. Il doit être mis en hibernation.
 
La force majeure empêche l’exécution du contrat.
 
L'impossibilité temporaire d'exécuter le contrat justifie sa suspension pendant la période considérée.
 
La suspension du contrat est un phénomène qui a été retenu notamment en période de guerre. Il fut jugé par exemple « qu’il est admis que l’état de guerre ne met pas fin ipso facto aux contrats ; (…) dans le cas où les évènements de guerre rendent l’exécution impossible, l’effet des contrats peut être suspendu, soit totalement, soit partiellement »[5].
 
Comme l’écrit le Professeur Alain Bénabent : « Dans les contrats à exécution successive, il arrive que l’impossibilité d’exécution soit temporaire (…). Le droit contemporain admet alors une suspension du contrat pendant la période d’impossibilité. (…) Par définition, la suspension est provisoire : pendant cette période le contrat est relâché, n’est plus "en vigueur" ; mais il existe toujours et sa reprise se fera automatiquement dès qu’elle sera possible. De plus, ses effets accessoires peuvent se maintenir (…). Cette suspension ne remet pas en cause le terme initialement prévu : le contrat ne se trouve pas allongé d’une période correspondante »[6].
 
Le contrat est ainsi suspendu, ce qui signifie que les obligations réciproques des parties disparaissent pendant cette période provisoire. Pas de délivrance ; pas de loyer.
 
Toutefois, les effets secondaires du contrat peuvent subsister. Le locataire reste tenu d’assurer les locaux. Le bailleur aussi. Le matériel, le mobilier et les éventuelles marchandises restent dans les locaux fermés. Etc.
 
La solution peut s’expliquer également au moyen de l’exception d’inexécution prévue à l’article 1219 nouveau du Code civil, conforme à la jurisprudence antérieure. Lorsque l’une des parties n’exécute pas son obligation et que cette inexécution est suffisamment grave (ce qui est le cas de la fermeture d’une boutique ou d’un centre commercial), l’autre partie peut se dispenser d’exécuter la sienne[7]. L’exception d’inexécution peut être invoquée lorsque l’une des parties est empêchée d’exécuter sa prestation, notamment en raison d’une nouvelle législation[8].
 

 
D’autres mécanismes juridiques vont dans le même sens, tel l’article 1722 du Code civil relatif à la perte de la chose louée. Les décisions réglementaires de fermeture entrainent une perte provisoire de la chose louée. La perte de la chose louée peut résulter d’une réglementation ou d’une interdiction administrative[9].
 
Les locataires peuvent donc suspendre le paiement des loyers, sans risque. Un commandement de payer, une menace de résiliation ou de refus de renouvellement du bail commercial pour loyer impayé seraient non seulement infondés, mais encore certainement jugés de mauvaise foi. Au demeurant, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 précise que les pénalités, astreintes, clauses pénales ou clauses résolutoires sont inapplicables aux commerçants visés à l’article 1er et ce, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
 
Cependant, certains commerces échappent à la mesure de fermeture. L’annexe au décret du 23 mars 2020 vise par exemple les commerces d’alimentation générale, les superettes, les supermarchés, et un certain nombre d’autres commerces dont le maintien est apparu nécessaire.
 
Le bailleur remplit, pour ces commerces, son obligation de délivrance. Il n’en demeure pas moins que, la clientèle étant confinée et les commerces alentour étant fermés, l’activité des établissements subsistants s’en trouve extrêmement affectée.
 
Dans certains cas, le locataire pourra sans doute invoquer lui-même la force majeure, c’est-à-dire l’impossibilité d’exploiter en raison, d’une part, du confinement de la clientèle et, d’autre part, du droit de retrait de certains salariés. Ces locataires pourraient sans doute suspendre leur exploitation, nonobstant les éventuelles clauses de leurs baux les obligeant à exploiter et à tenir les locaux ouverts. La force majeure les dispenserait de leurs obligations et de toute pénalité ou de tous dommages-intérêts. Mais, il n’est pas certain qu’ils puissent pour autant suspendre le paiement de leur loyer.
 
Il faudrait alors envisager, non pas une dispense de loyer, mais une révision du loyer.
 
 
II – LA RÉVISION DU LOYER
 
La suspension du contrat et la suppression des loyers et charges ne dureront que jusqu’à la date qui aura été fixée par les arrêtés et décrets ordonnant la fermeture des boutiques et des centres commerciaux. Passé cette date, les boutiques et les centres commerciaux pourront rouvrir, mais le redémarrage de l’activité commerciale reste tout à fait incertain.
 
C’est pourquoi la révision du loyer peut être envisagée dès maintenant par les commerçants sur deux fondements différents.
 
 
A – LA RÉVISION POUR IMPRÉVISION
 
Elle ne concerne que les baux conclus depuis le 1er octobre 2016, bénéficiant des nouvelles dispositions du Code civil.

 
 
La révision pour imprévision est prévue à l’article 1195 du Code civil :
 
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe »[10].
 
Le locataire doit donc s’adresser à son propriétaire pour lui demander de revoir les conditions financières du bail. A défaut d’accord, dans un délai raisonnable, le locataire peut saisir le Tribunal judiciaire du lieu de la situation de l’immeuble qui pourra « réviser le contrat », c’est-à-dire adapter le loyer pour tenir compte, non seulement de la fermeture administrative, mais surtout des conséquences à plus long terme de la crise du coronavirus.
 
Cette crise constitue à l’évidence un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat.
 
Quoique certains auteurs aient pu s’interroger sur l’articulation des textes concernant la révision pour imprévision du Code civil, d’une part, et la révision des loyers commerciaux prévue à l’article L. 145-38 du Code de commerce, d’autre part, il apparaît que les deux textes sont distincts et complémentaires et ne s’excluent pas l’un l’autre. La révision du loyer prévue par le Code de commerce suppose une modification matérielle de l’environnement commercial. Ce sera souvent le cas, notamment dans les centres commerciaux puisque tous les locaux voisins seront fermés. La révision pour imprévision n’exige pas cette modification matérielle et peut donc jouer pour une boutique isolée, alors même qu’il n’y aurait pas d’autres boutiques voisines fermées.
 
Par ailleurs, la révision prévue par le Code de commerce donne lieu à une fixation de loyer à une date déterminée. Au contraire, la révision pour imprévision permet au juge de moduler, sur une certaine période, les conditions financières, puisqu’il peut largement « réviser le contrat », ce qui est beaucoup plus souple que la révision du Code de commerce.
 
 
B – LA RÉVISION DU LOYER CONFORMÉMENT À L’ARTICLE L. 145-38 DU
        CODE DE COMMERCE

 
Trois ans après la conclusion du bail, l’une ou l’autre des parties peut demander la révision du loyer sur le fondement de l’article L. 145-38 du Code de commerce. Le délai de trois ans constitue un délai minimum. Une fois ce délai expiré, l’une ou l’autre des parties peut notifier une demande de révision à tout moment[11].

 
Ainsi, les locataires qui sont en place depuis plus de trois ans peuvent notifier à leurs bailleurs, par lettre recommandée ou par exploit d’huissier, une demande de révision à la baisse de leur loyer.
 
Les locataires ont tout intérêt de notifier leur demande de révision actuellement, car la valeur locative sera appréciée à la date de leur demande, c’est-à-dire à la date d’expédition de la lettre recommandée ou à celle de l’acte d’huissier.
 
C’est à cette date que prendra effet le nouveau loyer. Si une procédure doit être engagée pour obtenir une fixation judiciaire et si cette procédure dure par exemple un an, le prix qui sera fixé par le juge sera dû rétroactivement depuis la date de la notification de la demande de révision. Si le loyer est effectivement fixé à la baisse, le bailleur devra donc rembourser les trop perçus de loyer.
 
Pour obtenir cette révision, le locataire doit rapporter la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une baisse de plus de 10 % de la valeur locative.
 
Les dispositions du Code de commerce permettent de prendre en compte les phénomènes temporaires. L’épidémie de coronavirus sera passagère. Or, l’article R.145-6 du Code de commerce, qui définit les facteurs locaux de commercialité, permet expressément de prendre en compte les modifications que les éléments constitutifs de la commercialité « subissent d’une manière durable ou provisoire ». Si la crise évoquée se traduit au niveau local, dans la commercialité, son caractère « provisoire » ne fait pas obstacle à sa prise en compte pour le réajustement du loyer.
 
Les deux conditions imposées par le texte seront généralement remplies.
 
La modification matérielle des facteurs locaux de commercialité est établie lorsque la boutique du locataire se trouve dans un centre commercial, puisque celui-ci est fermé par décision réglementaire, ou dans un quartier comportant d’autres boutiques ou établissements divers, lesquels sont aujourd’hui fermés en application du décret du 23 mars 2020 et des autres textes à intervenir.
 
Il a déjà été jugé que la fermeture de nombreux commerces ou de bureaux constitue une modification matérielle de la commercialité[12].
 
Quant à la baisse de plus de 10 % de la valeur locative résultant des mesures de fermeture, elle ne devrait pas être difficile à établir. La valeur locative d’un local fermé par décision administrative ou situé dans un centre commercial lui-même fermé, est évidemment considérablement plus faible que celle d’un local ouvert ou dans un centre en activité.
 
A défaut d’accord entre bailleurs et preneurs, des procédures de révision pour imprévision ou pour modification matérielle des facteurs locaux de commercialité pourront être engagées et devraient aboutir à des baisses sensibles de loyer, à l’issue des délais habituels de la justice.
 
Les locataires ont tout intérêt à prendre date dès maintenant en notifiant des demandes de révision.
 
[1] Cass. 3e civ. 23 janvier 2008, n° 06-19520, Gaz. Pal. 1er mai 2009, p. 27.
[2] Voir : L’obligation essentielle, Gaz. Pal. du 5 juillet 2016, p. 53.
[3] Cass. 1e civ. 24 février 1981, n° 79-12710.
[4] Cass. 3e civ. 22 février 2006, n° 05-12032, RDC 2006.1088.
[5] Trib. com. Seine 15 juin 1915, D. P. 1916.2.22.
[6] Alain Bénabent, Droit des obligations, n° 365, LGDJ.
[7] Voir, par exemple, Cass. 3e civ. 1er mars 1995, Gaz. Pal. 2 mars 1996, p. 11 ; pour une étude plus générale : Ghestin et Billiau, Les effets du contrat, p. 421 s.
[8] Cass. com. 20 janvier 1976, Gaz. Pal. 1976, 1, somm. p. 96.
[9] Cass.com. 19 juin 1962, Gaz. Pal. 1962, 2, jurisp. p. 276 ; Cass. 1e civ. 29 avril 1965, JCP 1966, éd. G, IV, 1.
[10] Sur la question, voir Alain Confino, AJDI 2016, p. 358 et Frédéric Planckeel, Loyers et copr. octobre 2018, p. 46.
[11] Cass. 3e civ. 13 février 2002, n° 00-17667, Administrer juillet 2002, p. 11, note J.-D. Barbier.
[12] Cass. 3e civ. 26 septembre 2001, n° 00-13859, Administrer janvier 2002, p. 28, note Boccara et Lipman Boccara ; CA Paris 27 novembre 2002, Gaz. Pal. 2003, somm. p. 1873.
 

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