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Jehan-Denis BARBIER
Docteur en droit
Avocat à la Cour

Par un arrêt du 22 octobre 2015 (pourvoi n° 14-20.096), la Cour de cassation a jugé que la clause d’un contrat de cession de bail qui prévoit, comme condition suspensive, l’établissement d’un nouveau bail au profit du cessionnaire, est réputée non écrite.

Cet arrêt va bouleverser la pratique des rédacteurs d’actes. La Cour de cassation décide en effet qu’il n’est pas possible de prévoir, comme condition suspensive, dans un acte de cession de bail, l’établissement d’un nouveau bail au profit du cessionnaire.
 
En l’espèce, le titulaire du bail commercial exploitait un pressing.
 
Il envisageait de céder son bail à la Banque Chaix.
 
Il apparait que le bailleur avait donné son accord au projet de cession. Le bailleur avait autorisé la cession du droit au bail seule et le changement d’activité. Le bailleur avait également donné son accord, semble-t-il, pour les divers travaux modificatifs nécessaires à la transformation d’un pressing en agence bancaire.
 
Toutefois, le bailleur voulait la régularisation d’un nouveau bail au nom du cessionnaire, raison pour laquelle l’acte de cession avait été signé sous la condition suspensive de l’établissement d’un nouveau bail.
 
Les conditions suspensives devaient être réalisées dans un certain délai.
 
La Banque Chaix et le bailleur avaient été mis en relation et avaient discuté de l’établissement du nouveau bail. Cependant, la Banque Chaix et le bailleur ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur les clauses et conditions d’un nouveau bail commercial qui serait établi au nom du cessionnaire.
 
Le délai de réalisation des conditions suspensives étant écoulé sans qu’un accord ait été trouvé sur la rédaction d’un nouveau bail, la Banque Chaix refusa de signer la cession définitive.
 
Le pressing engagea la procédure à l’encontre de la Banque Chaix pour tenter de l’obliger à signer l’acte de cession.
 
 Les juges du fond déboutèrent le pressing en considérant que, dès lors que la condition suspensive relative à l’établissement d’un nouveau bail n’avait pas été réalisée dans le délai convenu, la cession était caduque. En effet, conformément à l’article 1176 du Code civil, la « condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l’évènement soit arrivé ».
 
Ainsi, selon les juges du fond, dès lors que le futur cessionnaire et le bailleur n’avaient pas trouvé d’accord sur la signature d’un nouveau bail dans le délai prévu pour la réalisation de cette condition, la cession était nulle et de nul effet.
 
Saisie par le pressing, la Cour de cassation va juger le contraire et casser l’arrêt de la Cour d’appel.
 
La Cour de cassation décide, par un arrêt de principe, que « la clause qui prévoit une condition portant sur un élément essentiel à la formation du contrat doit être réputée non écrite ».
 
Le contrat en question est le contrat de cession. Son élément essentiel est le bail, qui constitue l’objet de cette cession. Le bail, constituant l’élément essentiel du contrat, ne peut pas faire l’objet lui-même d’une condition suspensive.
 
Ainsi, la clause concernant la condition suspensive d’établissement d’un nouveau bail étant réputée non écrite, il importe peu que cette condition n’ait pas été réalisée, et la cession et donc valable. La Banque Chaix doit acheter le bail du pressing, sans pouvoir se plaindre du refus du bailleur d’établir un nouveau bail au nom du cessionnaire.
 
Si cet arrêt a pu surprendre les praticiens au premier abord, on en comprend le raisonnement intellectuel. Un élément essentiel du contrat, nécessaire à sa constitution, ne peut pas être conditionnel. Il doit être. Le bail commercial constituant l’objet même du contrat de cession, ne peut pas faire l’objet d’une condition suspensive. En quelque sorte, on ne peut pas dire : « je vous cède mon bail, à condition que ce bail existe ».
 
Les éléments essentiels d’un contrat ne peuvent pas être conditionnels. Ils sont constitutifs.
 
Comme l’écrivent les professeurs Terré, Simler et Lequette, la condition « est un élément advantice, dont la volonté des parties fait dépendre l’effectivité ou la survie d’une obligation qui aurait pu ne pas être assortie de cette modalité. Aussi, un élément essentiel du contrat ne peut-il être érigé en condition. Une vente conclue sous la condition que l’acquéreur confirme son consentement ou que les parties parviennent à un accord sur le prix n’est pas une vente conditionnelle. Il n’y a ni vente ni même obligation » (1).
 
La condition suspensive s’applique à un contrat dont tous les éléments constitutifs sont réunis : le consentement, la capacité, l’objet et la cause.
 
L’objet lui-même du contrat ne peut pas être réduit à une condition suspensive. Une vente sous la condition que les parties se mettent d’accord sur le prix n’est pas une vente conditionnelle : ce n’est pas une vente du tout, puisqu’il lui manque un de ses éléments constitutifs. Une cession de bail sous la condition que le bail existe ne serait pas davantage une cession sous condition suspensive : s’il n’y avait pas de bail, il n’y aurait pas de cession du tout.
 
Cependant, dans l’affaire commentée, la Cour de cassation ne dit pas que la cession n’existe pas au motif qu’il lui manquerait un de ses éléments constitutifs. Bien au contraire, elle dit que la cession est bonne ou valable et que la condition suspensive relative à l’établissement d’un nouveau bail est réputé non écrite.
 
Il est vrai qu’à la date où les parties se mettent d’accord sur la cession, le bail commercial existe bien. L’établissement d’un nouveau bail commercial au nom du cessionnaire ne peut pas être considéré comme une condition préalable à la cession, mais plutôt comme une conséquence de cette cession.
 
La Banque Chaix achète le bail du pressing, lequel bail existe bien. Tous les éléments constitutifs du contrat de cession existent. Ensuite, après avoir acquis ce bail, la Banque Chaix à tout le loisir de trouver un accord avec le bailleur pour résilier le bail et en établir un nouveau. Elle peut aussi bien rechercher un accord avec le bailleur sur un renouvellement anticipé ou sur l’établissement d’un avenant modificatif.
 
Toutes ces circonstances sont des conséquences de la cession, non des conditions.
 
La solution retenue par la Cour de cassation parait toutefois bien sévère. N’est-il plus possible d’acheter un bail sous la condition préalable que le bailleur promette de le renouveler ? Ne peut-on prévoir, à l’occasion d’une cession, les engagements du bailleur sur les suites de ce bail ?
 
On comprend bien que la clause qui « prévoit une condition portant sur un élément essentiel à la formation du contrat doit être réputée non écrite » lorsque cet élément essentiel n’existe pas. Mais lorsqu’il existe (et en l’espèce le bail commercial existait bien à la date de la cession) pourquoi ne pourrait-on pas prévoir les évolutions de cet élément essentiel et préciser que l’on n’accepte de s’engager qu’à la condition que ces évolutions soient prévues ?
 
Quoiqu’il en soit, en l’état, les rédacteurs d’actes vont devoir faire preuve de prudence et d’imagination. En pratique, plutôt que de prévoir des conditions suspensives, mieux vaudra négocier toutes les conditions de la cession avec le cédant, le cessionnaire et le bailleur, et signer tous les actes le même jour : la cession et le nouveau bail.
 
 
______________
 
 
1. Terré – Simler – Lequette Précis Dalloz, Les obligations n°1219.
 
 
 

 

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