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Baux Commerciaux La lettre du mois d'août 2016

Jehan-Denis BARBIER
Docteur en droit
Avocat à la Cour

Par un arrêt du 7 juillet 2016 (pourvoi n° 15-16.101), la Cour de cassation a jugé que le locataire exploitant son fonds de commerce sur le local voisin et le prétendu locataire gérant ayant lui-même exploité son fonds de commerce dans d’autres locaux avant de s’installer dans  les locaux litigieux sous sa propre enseigne, en apportant sa propre clientèle, la prétendue location-gérance constitue en réalité une sous-location des murs. La propriétaire est en droit d’obtenir la résiliation du bail.

Attention : un contrat peut en cacher un autre. Une location-gérance peut dissimuler en réalité une sous-location.
 
 Tel est le cas en l’espèce. La bailleresse, qui avait donné son local à bail à une certaine société, constata que les locaux étaient occupés par une autre société, dont le titre d’occupation pouvait prêter à discussion.
 
Il s’agissait officiellement d’une location-gérance, mais la redevance de location-gérance était quatre fois et demie plus importante que le loyer du bail principal, ce qui pouvait susciter un examen plus attentif de la convention litigieuse.
 
En cas de fraude, lorsqu’une sous-location est déguisée en location-gérance, le bailleur peut demander la requalification du contrat et poursuivre la résiliation du bail principal (I). Il devrait également pouvoir demander le réajustement rétroactif du loyer du bail principal (II).


I – SUR LA REQUALICATION D’UN CONTRAT DE LOCATION-GÉRANCE EN CONTRAT DE SOUS-LOCATION
 

Généralement, la sous-location est interdite dans les baux commerciaux. En revanche, la mise en location-gérance l’est plus rarement. D’où la tentation pour un locataire de consentir une prétendue location-gérance de son fonds de commerce, là où il ne pourrait pas consentir une sous-location.
 
Il s’agit de deux contrats bien distincts.
 
La location-gérance est un bail de fonds de commerce. Le bail commercial est un bail d'immeuble. L'objet du contrat permet donc de le qualifier. "Le contrat de location-gérance d'un fonds de commerce est relatif à un bien meuble incorporel, non à un immeuble bâti" [1]. Le contrat de bail commercial porte quant à lui sur « des immeubles ou locaux » au sens de l’article L.145-1 du Code de commerce.
 
La location-gérance, régie par les articles L.144-1 et suivants du Code de commerce est un contrat qui porte sur le fonds de commerce. Le bail commercial, régi par les articles L145-1 et suivants du Code de commerce porte sur les murs.
 
Cependant, vu de l’extérieur, qu’il s’agisse d’une location-gérance ou d’un bail commercial, l’apparence est la même : dans les deux cas un tiers occupe les locaux. L'ambigüité vient de ce que le locataire-gérant, qui exploite le fonds de commerce, prend possession des murs.
 
Que l'exploitant soit locataire-gérant ou sous-locataire, il occupe les lieux dans les deux cas. La jouissance du local n'est donc pas un critère distinctif.
 
La mise en location gérance ne comporte-t-elle pas nécessairement une sous-location ? Un arrêt ancien avait pu laisser entendre qu'une location-gérance pouvait constituer partiellement une sous-location, notamment parce que le locataire-gérant réglait directement au propriétaire des murs le montant du loyer [2], mais cette décision critiquée n'a pas eu de suite.
  
Il est bien admis, aujourd'hui, qu'une mise en location-gérance ne constitue pas une sous-location[3]. En cas de location-gérance, "la jouissance des locaux n'est que la conséquence accessoire et nécessaire de la location-gérance". Il ne s'agit donc pas d'une sous-location interdite [4]. Le fonds de commerce inclut le droit au bail. La concession du fonds de commerce inclut donc celle du droit au bail. Cependant, le droit au bail n'est pas concédé de façon autonome, mais seulement en tant qu'élément indissociable du fonds de commerce.
 
Le contrat de bail commercial porte sur un local seul ; le contrat de location-gérance porte sur un local partie d'un tout. Or, l'élément principal de cette entité est la clientèle. Le local, en tant qu'objet du contrat, est une source de confusion. Le seul critère qui permet de distinguer les deux contrats est la clientèle.
 
La clientèle constitue l'élément essentiel du fonds de commerce, sans lequel il ne peut exister [5].
 
Pour qu'un contrat de location-gérance soit valable, il faut donc une clientèle, puisque l'objet du contrat est un fonds de commerce qui ne peut exister sans clientèle.
 
Dans l’affaire commentée, les juges du fond ont considéré que l’occupation n’avait reçu du locataire aucune clientèle et qu’il ne s’agissait donc pas d’une location de fonds de commerce.
 
En effet, d’une part, le locataire lui-même continuait à exploiter son propre fonds de commerce dans le local voisin. Comment pouvait-il prétendre l’avoir donné en location-gérance alors qu’il le conservait lui-même ?
 
D’autre part, le prétendu locataire-gérant avait lui-même exploité son propre fonds de commerce de prêt-à-porter dans la même ville et lorsqu’il s’était installé dans les locaux litigieux, il y avait apposé sa  propre enseigne : il disposait déjà de sa propre clientèle. Le fonds de commerce exploité dans les locaux litigieux était son propre fonds de commerce, non celui du locataire commerçant.
 
Ce locataire commerçant continuant à exploiter son propre fonds dans le local voisin, la Cour de cassation reprend une jurisprudence concernant des cas similaires : "les juges du fonds peuvent décider qu'une convention qualifiée de location-gérance doit s'analyser en une simple sous-location, dès lors que le propriétaire du fonds de commerce s'est réservé toute l'exploitation prévue à son propre bail"[6]
 
Dans ces conditions, la société qui exploitait le local litigieux, n’avait pas reçu en location un fonds de commerce, mais seulement des murs vides : il s’agissait d’une sous-location.
 
Celle-ci étant interdite par le bail principal, comme d’ailleurs, par l’article L.145-31 du Code de commerce, l’infraction justifiait la résiliation du bail et l’expulsion du locataire et de tous occupants de son chef.
 
 Mais la bailleresse aurait pu demander également le réajustement du loyer du bail principal pour le passé, jusqu’à la date de la résiliation.
 

II – SUR LE RÉAJUSTEMENT DU LOYER PRINCIPAL EN RAISON DU LOYER DU SOUS-BAIL
 

Il semble que la bailleresse n’avait pas formé de demande à cet égard.
 
Toutefois, les juges du fond avaient relevé que la bailleresse « n’avait pas été informée du prix de la sous-location près de quatre fois et demie plus importante que le loyer principal ». Elle n’en avait pas été informée puisque la sous-location était déguisée en location-gérance.
 
Le contrat de location-gérance étant requalifié en sous-bail, la redevance de location-gérance doit être requalifiée en loyer de sous-location.
 
Or, l’article L.145-31 du Code de commerce précise que : « Lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire a la faculté d’exiger une augmentation correspondante ( …) ». Lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire peut obtenir une augmentation du loyer principal.
 
Le statut des baux commerciaux traite la sous-location avec défaveur car il protège le local, outil de travail du locataire, alors qu'un locataire qui sous-loue n'a, par hypothèse, pas besoin des locaux pour lui-même. La sous-location ne doit pas permettre une opération spéculative. Le locataire principal ne doit pas réaliser un bénéfice sur des locaux qu'il n'occupe pas lui-même.
 
C'est pourquoi l'article L.145-31, alinéa 3, du Code de commerce, permet au propriétaire d'absorber, au moyen d'un réajustement du loyer principal, le bénéfice éventuellement réalisé par le locataire principal.
 
Concrètement, en cas de sous-location totale, si le sous-loyer est supérieur au loyer principal, le loyer principal sera réajusté au montant du sous-loyer. Il faudra cependant comparer les obligations, charges et taxes du bail principal et du sous-bail pour comparer ce qui est comparable [7]
 
En cas de sous-location partielle, il faudra apprécier les prix au prorata des surfaces, le but du réajustement étant d'exclure tout profit du locataire principal [8].
 
Cependant, selon une certaine jurisprudence, le réajustement du loyer principal ne prendrait effet qu’au jour où le propriétaire forme sa demande, en saisissant le tribunal [9].
 
Encore faudrait-il en outre notifier un mémoire préalable [10]
 
Ces règles paraissent sévères en cas de sous-location frauduleuse.
 
Il nous semble qu’en cas de sous-location déguisée, le réajustement devrait prendre effet rétroactivement à la date de la sous-location.
 
Le délai de prescription, pour demander le réajustement du loyer, devrait courir à compter du jour où l'action est ouverte au propriétaire, c'est-à-dire à compter du jour où il a eu connaissance de la sous-location et du sous-loyer.
 
La bailleresse aurait sans doute pu former une demande rétroactive pour obtenir une augmentation de son loyer pour le passé. Cette demande aurait dû être formée dans les deux ans à compter de la date de la requalification de la location-gérance en sous-location [11].
 
Les rappels de loyers devraient pouvoir être demandés sur les cinq dernières années compte tenu du délai de prescription de droit commun.
 
Encore faut-il rappeler que la fraude suspend la prescription [12].
 

[1] Cass.com. 16 févr. 1993 : Gaz. Pal. 3 juill. 1993, p.19, note J.-D. Barbier.
[2] Cass. com. 2 juin 1958, JCP 1960, II, 11501, note crit. A. Cohen.
[3] Cass. 3e civ. 23 mai 1995, Administrer, oct. 1995, p.22, note J.-D. Barbier.
[4] Cass. 3e civ.,9 juill. 2003, Administrer, nov. 2003, p.30, note J.-D.Barbier.
[5] Cass. req. 15 févr.1937 : Gaz. Pal. 1937, I, 789 – Cass. Cass. Plén., 14 avr.1970 : JCP 1970, G, II, 16489, note. B. Boccara.
[6] Cass. 3e civ. , 26 nov. 1997 : Administrer, mars 1998, p.33, note J.-D. Barbier.
[7] Cass. com. 19 décembre 1961, Bull. civ. 1961, III, n°484 ; C. Orléans 15 janvier 1964, D. 1964, somm. p.89
[8] Cass. civ. 3e, 2 mars 1988, Gaz. Pal.1989, 1, somm. p.160 ; Cass. civ. 3e, 28 mai 1997, Gaz. Pal. 1997, 2, 691.
[9] C. Paris, 3 mai 1984, Bull. Loyer 1984, n°253
[10] Cass. 3e civ. 7 févr. 2007, Administrer avril 2007, p.27
[11] Voir par analogie Cass. 3e civ. 7 juill.2016, n°15-19485, commenté par Mme D. Lipman-Boccara dans la présente revue
[12] Cass. 3e civ. 19 nov. 2015, n°14-13882, Gaz. Pal. 1er mars 2016 p.76, note J.-D. Barbier

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